Depuis qu’existent les études sur la participation électorale, il a toujours été constaté que l’abstention est plus forte chez les jeunes – à l’exception des personnes très âgées. La participation moindre des jeunes est donc une donnée structurelle. Elle s’explique d’abord par un effet du cycle de vie – Anne Muxel parle du « moratoire électoral des années de jeunesse ». La participation augmente avec l’insertion sociale (trouver un emploi stable, posséder son logement, vivre en couple, avoir des enfants). À cela s’ajoute une familiarisation progressive avec la vie politique car il faut un certain temps pour maîtriser les enjeux politiques, identifier les forces politiques, comprendre les différents niveaux de pouvoir, notamment en France où l’organisation politico-administrative résulte d’une histoire complexe et conflictuelle.
L’abstention des jeunes le 9 juin dernier
Mais bien que ce phénomène soit structurel, il est suffisamment préoccupant pour ne pas rester impassible et s’attaquer au problème. Lors des élections européennes du 9 juin dernier, l’abstention chez les jeunes a atteint des niveaux record, avec près de 70% des jeunes de 18 à 24 ans qui n’ont pas voté, faisant de l’abstention « le premier parti de la jeunesse ». Cette situation alarmante a poussé de nombreux jeunes à prendre la parole et à agir pour encourager la participation électorale.
Les influenceurs et les streamers s’engagent
Face à cette situation, certains jeunes influenceurs se mobilisent sur les réseaux sociaux pour inciter leurs pairs à voter. Déjà en 2021, les réseaux sociaux étaient perçus comme un nouveau lieu d’éducation civique. Aujourd’hui, des influenceurs tels que Jean Massiet, incontournable sur Twitch, ou Hugo au Perchoir, préfèrent parler politique plutôt que jeux vidéo, utilisant leur plateforme pour sensibiliser les jeunes à l’importance du vote.
La montée de l’extrême droite mobilise également des influenceurs qui, ordinairement, s’expriment peu sur la politique en général et traitent d’autres sujets. Des figures populaires comme Léna Situations et Squeezie se sont aussi exprimées pour encourager les jeunes à voter et contrer l’abstention. Leur influence est cruciale pour toucher un large public jeune et les sensibiliser aux enjeux électoraux.
Quand les jeunes citoyens se mobilisent
Cependant, il ne faut pas nécessairement être un influenceur avec une audience astronomique pour avoir un impact. Nombreux sont les jeunes citoyens qui utilisent les réseaux sociaux pour interpeller leurs pairs , sous forme d’appels à relayer, afin de les encourager à voter. Juliette, alias @chajalloux sur Instagram, fait partie de ces jeunes engagés. Nous l’avons interviewée pour comprendre ce qui la motive.
Pourquoi avoir lancé sur ton Insta un appel pour voter le 30 juin ? Pour toi il y a urgence ?
Le résultat des élections européennes a été pour moi un véritable choc. Passées les larmes et la colère, j’ai contacté des ami.es et vu que je n’étais pas la seule à ressentir cette peur face à la montée de l’extrême droite. L’urgence est on ne peut plus claire pour moi (et je pense pouvoir parler au nom de mes proches également). En tant que membre de la communauté LGBTQIA+, et connaissant l’opinion de Jordan Bardella ainsi que du RN sur la question des droits des personnes queers, la peur de me voir, ainsi qu’à toute une communauté de personnes déjà très stigmatisée, retirer des droits fondamentaux m’a prise à la gorge. De nombreux autres sujets m’insurgent quant à la politique du RN, notamment pour les questions d’immigration et de racismes. Il m’a paru nécessaire de mettre en place des actions, à ma petite échelle, pour encourager les personnes à voter.
Vous parlez beaucoup de politique avec tes amis et tes proches ? Voter c’est souvent un réflexe ?
La politique a toujours été un sujet très important dans mon cercle amical. Nous parlons beaucoup de politique de manière générale, encore plus dans le contexte des élections récentes. Nous avons toustes globalement les mêmes idées et valeurs, et une vision de vote similaire. Les résultats des élections européennes ont été comme une claque, qui nous a un peu remis les pendules à l’heure. Nous avons pris conscience (je parle avant tout pour moi), que le rôle individuel du citoyen est le moyen d’avoir un pouvoir commun. Sans les efforts de chacun.e, la politique ne peut être représentative des réflexions de toutes les personnes faisant partie du système politique français au sens large.
Trouves-tu des explications pour que l’abstention des jeunes soit aussi haute ?
Je me dis que peut-être l’impression dont j’ai fait part plus haut est assez générale, et qu’au final le vote n’est pas considéré comme nécessaire parce qu’il est représentatif de la voix de tous, et que si chacun.e se dit « c’est pas si grave si je ne vais pas voter », on en vient à un taux d’abstention très haut et à des résultats rendant très palpable la montée de l’extrême droite. Un sentiment qui me vient aussi par rapport à la question de l’abstention, c’est l’abattement que je remarque dans la vision du monde de mes pairs et moi. L’urgence climatique n’étant pas prise au sérieux par le gouvernement, l’état devenant de plus en plus répressif dans les méthodes d’actions de la police notamment, la surconsommation étant de mise alors que nombreuses sont les personnes de ma tranche d’âge ayant bien compris que l’avenir n’était pas dans l’économie monstrueusement capitaliste d’aujourd’hui, nous sommes dépité.es. La rage et la motivation font alors place à l’angoisse et la résignation. Même si ce discours est très didactique et que la réalité est bien plus nuancée, je pense que c’est une façon d’expliquer pourquoi la jeunesse d’aujourd’hui s’implique beaucoup dans la politique théorique et les actions parfois illégales, mais beaucoup moins dans les formes « classiques » d’expression de l’opinion politique.
Les jeunes ont aujourd’hui pris conscience de leur pouvoir et de l’importance de leur voix. Les réseaux sociaux deviennent un outil essentiel pour cette prise de conscience et pour inciter à une participation plus active à la vie démocratique.
En bonus : une interview du sociologue Tom Chevalier, par la journaliste Salomé Saqué.